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Mon “coming-out autistique” a été une véritable renaissance

En 2022, Handivoice vous invitait à découvrir Walt, une école pensée pour les enfants neuro-atypiques. Mais qu’en est-il des adultes neuro-atypiques ? De quelle manière parviennent-ils à s’insérer dans le monde du travail ? Comment pouvons-nous les y aider ? Pour apporter un éclairage à cette question, la rédaction de Handivoice vous invite à découvrir le parcours et le quotidien de Nadia JAMI, salariée neuroatypique, et de sa manager Loubna SEBTI.

 

Nadia, peux-tu nous raconter ton parcours ?

“Avec plaisir ! Après 2 Masters et un doctorat, j’ai travaillé dans une collectivité locale où j’ai encadré jusqu’à 13 personnes. Mais à l’heure de fonder une famille, j’ai souhaité réorienter ma carrière. C’est alors que j’ai rejoint le CAIDF, dans le réseau. Mais après 5 ou 6 ans, j’éprouvais d’énormes difficultés avec le contact physique. Je trouvais des stratagèmes pour l’éviter au maximum, je me réfugiais dans les tâches administratives et j’étais mise à l’écart de l’équipe, tout en ayant de très bons résultats. Je ne comprenais absolument pas la raison de cet isolement et j’avais, forcément, une image de moi assez dégradée. Je cherchais un autre poste dans le groupe et j’ai eu la possibilité d’exercer une mission très cadrée, avec beaucoup d’administratif et peu de contacts physiques. Je m’y suis sentie beaucoup plus à l’aise, mais cette mission était temporaire.  Lorsque l’on m’a proposé de revenir à mon poste précédent, je n’en étais tout simplement pas capable. C’est alors que j’ai commencé un parcours médical. Après beaucoup de temps et de tests, le diagnostic est tombé : à 48 ans, je découvrais que j’étais autiste Asperger et Haut Potentiel Intellectuel (HPI). Cela a d’abord été un choc, puis une révélation : je comprenais enfin que je n’étais pas comme les autres”. 

 

Concrètement, tu nous expliques ?

“ Une personne autiste ne comprend pas les codes des interactions sociales, les gestes, les sous-entendus, les blagues. Pour nous, les choses doivent être cadrées, explicites, logiques. Par contre, et c’est le propre des autistes Asperger, nous avons une grande capacité d’analyse de données factuelles ; notre manière de penser “out of the box” nous invite à trouver des solutions innovantes”.

 

Aujourd’hui, où en es-tu ?

“Tout d’abord, je suis suivie par un médecin, j’apprends aussi, avec des spécialistes, à interagir avec des personnes “neurotypiques”. Par ailleurs, j’ai rejoint l’équipe Paris Joignabilité dans le service Paris Connect du CAIDF, au sein de laquelle je suis “Conseiller relation clientèle à distance”. pour moi c’est parfait ! J’ai participé à la création du service et pu proposer une organisation qui me convenait. Mon rôle est de conseiller les clients à distance, sans avoir ces interactions physiques qui me pesaient. Tout est factuel et cadré, c’est vraiment ce qui me convient ! À ce poste, je crois même que mon handicap est devenu un atout. D’ailleurs, pour la 1ère fois de ma vie à 50 ans, j’ai bénéficié d’une promotion et été récompensée d’un week-end CADIF Trophée. Inutile de vous dire que cela a considérablement renforcé ma confiance en moi !”.

 

Loubna, quelle est ton expérience en tant que manager ? 

“ Comme lors de tout recrutement, j’ai mené mes entretiens sans préjugé et sans demander l’avis des anciens managers de Nadia. Pour moi, le management est une alchimie. Mon rôle est, notamment, de créer un climat de confiance avec les membres de mes équipes et de créer les conditions qui permettront à chacun de donner le meilleur de soi-même. J’ai immédiatement eu un bon feeling avec Nadia qui, à l’époque, travaillait à mi-temps en raison de son suivi médical, comme je l’apprendrai plus tard. À un moment, Nadia a fait son “coming-out autistique”, comme elle dit. Elle m’a donné une fiche avec le diagnostic de ses troubles mais, surtout, j’ai pris le temps de comprendre ses besoins et de tenter d’y répondre. Aujourd’hui, je dois dire que Nadia s’épanouit à son poste mais aussi que pour un manager, avoir quelqu’un qui pose un autre regard sur les sujets et les problèmes que nous rencontrons apporte une véritable richesse. À nous de savoir nous en saisir”.

 

Nadia, as-tu besoin d’aménagements ?

“Les personnes autistes ont non seulement besoin de cadre et de consignes claires, elles sont également très sensibles à leur environnement de travail, au bruit et à la lumière. Les interactions sociales – que nous comprenons mal – nous épuisent. Outre l’écoute de Loubna, j’ai bénéficié de l’accompagnement de la Mission Handicap. Murielle DONIOL m’a écoutée et rassurée. Aujourd’hui, je bénéficie d’un emplacement fixe dans l’open space, calme et pas trop illuminé et que j’ai pu décorer un peu. Par ailleurs, je travaille 3 jours en télétravail, contre 2 habituellement. J’ai pris confiance en moi et je travaille aujourd’hui à temps complet. Je me sens enfin épanouie”.

 

Le mot de la fin ?

Nadia : “Pouvoir poser un diagnostic sur ma “différence” m’a vraiment aidée. J’ai pu mieux comprendre mon comportement et celui des autres. Cela m’a permis d’expliquer ma différence et de travailler sur les interactions sociales qui peuvent encore sembler “bizarres”. Mais au moins, maintenant, mes collègues les comprennent mieux. Il m’a fallu attendre la cinquantaine pour réaliser qu’on pouvait se sentir bien au travail et y avoir des relations amicales avec ses collègues !”. 

Loubna : “Pour ma part, je sais que je dois être précise dans mes consignes, répondre rapidement aux questions de Nadia mais aussi lui dire clairement les choses, aussi bien lorsque je suis satisfaite, qu’insatisfaite. Comme souvent, ce qui est d’abord pensé pour les personnes handicapées profite à tous. J’essaie d’agir de la même manière avec toute l’équipe.

 

Photo à la Une : CA IDF